Saint-Gervais décembre 2022

Partie à 7 h, arrivée à 11h30. De la pluie et beaucoup de voitures. Il fait gris, les routes sont dégagées, un peu de neige dans les fossés. Tant mieux pour moi mais dommage pour les skieurs. Je monte au Bettex sans souci comme en juillet. Le Bonnant est plein et l'Arve aussi, ça coule fort. Ce n'est pas normal en cette saison...

La messe de minuit a lieu à 21 h dans cette chapelle baroque de Saint-Nicolas de Véroce si belle. Elle était pleine. A la fin, ils ont chanté "L'Emmanuel". C'est le plus jeune fils de Geneviève qui m'a emmenée, un garçon charmant, le seul de la fratrie de six sans enfant; une belle famille que je connais depuis quelques années, un plaisir de les retrouver.

La messe du 25 décembre est pour 5 personnes dont toi, j'aime entendre ton nom et on chante" Viens, Emmanuel, viens nous sauver..." L'émotion me serre. 

Je suis descendue à pied en 15 mn à l'église de Saint-Gervais et je mets presque une heure pour remonter au chalet, avec des pauses où j'écris ton nom en pommes de pin, en sapin et sur le mur d'ardoise.

J'entends les conversations en salle commune. Véronique parle de sa nièce Rachel qui vient d'être opérée et passe Noël à l'hôpital de Dijon. Elle a une leucémie depuis l'âge de 3 ans et a 11 ans, elle a pu avoir une greffe grâce à sa petite soeur qui est compatible. Je pense à Baptiste et à tous ces parents courageux, le mot est faible. Je mets des bougies pour elle et pour lui à Notre-Dame de la Gorge.

Le parcours de 5 km du Bettex au plan de la Croix à Saint-Nicolas me paraît long mais j'arrive bien à midi. La boue remplace la neige, c'est désagréable. Le Mont Blanc est gris. Pierre n'est plus là, c'est son cuisinier qui le remplace au Schuss. Le boeuf bourguignon est bon. Le retour me paraît plus court mais je suis fourbue et il pleut!

Le TMB monte au col de Voza. Ah! impossible de marcher, c'est de la glace pure, je peine à atteindre le snack. Je vois bien que le 2e chalet est détruit, j'approche, ça sent encore le brûlé. Un gars me dit qu'ils ont eu un problème de chauffage et tout a flambé d'un coup! évidemment, tout en bois! quel dommage! je suis dépitée, c'est là qu'on prenait un verre et on louait nos skis. Alors je reprends le train pour redescendre aussitôt.

Alors direction Chamonix mais la circulation est dense, touche à touche, les parkings sont complets, je me gare le long de la route de Martigny tout au bout de la ville. Il faut marcher. Je peux déjeuner au National à 12h30 mais c'est plein, le beau labrador Limbo n'est pas là. Je prends des cuisses de grenouilles, bof, ça n'a pas de goût même si la sauce rattrape. C'est la première fois, je ne recommencerai pas. Plein de touristes sont venus pour la neige mais il n'y en a pas non plus, le Brévent est blanc quand même. Il fait plus froid. J'ai trouvé des bottes et des chaussettes "Emmanuel"!

Je suis retournée à Notre-Dame de la Gorge aux Contamines, c'est un lieu de méditation. Que de monde au pied du téléphérique, incroyable! C'est la seule piste ouverte, en fausse neige.

Je vais voir le petit Grégoire au cimetière des Contamines; des cailloux sont alignés, ses frère et soeur ou les parents sont venus. Ils avaient dit à ma mère: "Il est mort là, Dieu l'a voulu, on le laisse là."

En avançant, je repère une plaque pour un jeune homme de 21 ans mort accidentellement.

"Bertrand        Du haut de ta cime

Tu domines la neige.

Aux crêtes des ravins, un aigle s'envole;

Sur un sommet lointain    Plane, immobile    Aussi haut que toi-même.

L'amour est une étoile."    Ta maman

Et une autre tombe avec une inscription très émouvante :"Stéphanie et Jean-Christophe, on pense à vous. Vous avez dû passer une belle semaine de vacances, vous aviez économisé pour ça et vous êtes tombés dans la mer à Sharm El Cheikh, il ne reste rien mais vous êtes avec les poissons, on pense fort à vous."  28 et 32 ans!  Dieu l'a voulu aussi, ça me révolte, je n'y crois pas...

Ah! Megève! Pas une seule Dacia mais des Porsche et des gros 4x4. Bof! De belles vitrines et une dame avec un beau manteau de fourrure! une indienne riche...

A l'église Saint-Jean-Baptiste, un petit Baptiste a dessiné une crèche , quel hasard! Je suis émue. J'allume des cierges et je pense aussi à la petite Rachel mais je ne sais pas prier et ça ne sert à rien... Je monte au calvaire, je ne vois plus mes cailloux, j'en récris à Notre-Dame de Thélevey.

J'ai eu un grand plaisir de revoir cette famille nombreuse très sympathique. Je mélange les prénoms, les plus compliqués que je retiens quand même: Lo, Gustave, Joseph, Aure, Eloi, Elisée, et plus simples: Lucie, Stéphanie, Arthur, Camille...

Rentrée à 17h, les pensées néfastes reviennent.

Sarah Bell écrit: "T'écrire te rend vivant. T'écrire te rend possible... J'aurais dû m'échapper plus tôt avec toi, pour toi, échapper à cet esprit destructeur, cette emprise... masquer la violence , les mots qui rabaissent, les interrogatoires jaloux, les phrases où le respect a disparu. Voilà l'image du couple qu'on te renvoyait et que je m'appliquais à te cacher...Illusion totale ou lâcheté extrême de ne pas vouloir affronter la honte de notre réalité. Mon aveuglement est la pire de mes erreurs, j'ai été complice de la folie de ton père. Partir avec toi, dès la première attaque , même infime, aurait été la meilleure solution... La paternité réveille la pulsion dominatrice et destructrice de certains hommes, ton père fait partie de ces mâles-là. Maintenant, je sais mon erreur mais ça ne te fera pas revenir... T'écrire, c'est plutôt une bouée, un outil de survie, une obligation pour ne pas que ton existence devienne une douloureuse abstraction."

Je peux dire cela, malheureusement.